Deux ans après la violente polémique qui avait opposé la Commission européenne et l’État français au sujet des contreparties en matière de concurrence exigées par la Commission pour accepter la fusion Alstom-Siemens, Bruxelles et Paris croisent le fer aujourd’hui sur un dossier explosif de la recapitalisation d’Air France.
Les contreparties exigées par Bruxelles enflamment les discussions. Le volume de créneaux horaires de décollage à céder à Orly porterait un coup très dur au plan de développement de Transavia, pierre angulaire de la restructuration du groupe. Du côté français, des possibilités de compromis existent.
Deux ans après la violente polémique qui avait opposé la Commission européenne et l’Etat français au sujet des contreparties en matière de concurrence exigées par la Commission pour accepter la fusion Alstom-Siemens, Bruxelles et Paris croisent le fer aujourd’hui sur un dossier encore plus explosif : celui de la recapitalisation d’Air France par l’Etat français, actionnaire d’Air France-KLM – la maison-mère d’Air France- à hauteur de 14,3%. Un dossier ultra sensible qui conditionne la survie de la compagnie française, frappée de plein fouet par la crise sanitaire.
Menaces sur la croissance de Transavia
En réponse à la demande de l’Etat français de convertir en capitaux propres les 3 milliards d’euros de prêt accordés l’an dernier à Air France, la Commission européenne exige de lourdes contreparties à la compagnie pour limiter l’impact de cette aide d’Etat sur la concurrence.
Comme elle l’a fait en juin dernier pour valider la recapitalisation de Lufthansa, Bruxelles exige notamment d’Air France qu’elle restitue à Orly des créneaux horaires de décollage et d’atterrissage (« slots« ). Et ce, dans des proportions similaires à celles de Lufthansa à Francfort et Munich : 24 créneaux par jour dans chaque aéroport pour permettre à des concurrents d’y baser quatre avions.
Restituer 24 créneaux par jour à Orly, un aéroport plus petit que les deux aéroports allemands, est une amputation de taille pour Air France.
Sur une base annuelle, cela reviendrait à restituer près de 9.000 créneaux, soit environ 7% du portefeuille de créneaux du groupe sur cet aéroport, où la valeur des « slots » est très élevée du fait de leur rareté.
L’aéroport du sud francilien est en effet plafonné à 250.000 mouvements (décollages-atterrissages) annuels, et Air France en possède grosso-modo la moitié. Cette limite administrative (Orly pourrait accueillir entre 400.000 et 450.000 mouvements annuels) constitue une barrière à l’entrée difficilement franchissable pour les concurrents.
« C’est un cadeau pour les low-cost étrangères« , peste un proche du dossier à Paris.
Un tel scénario porterait un coup au développement à Orly de Transavia France, la filiale low-cost d’Air France. Avec des conséquences sur l’emploi à la clé.
« Le retrait de quatre avions à Orly menacera près de 200 postes du groupe Air France« , calcule un professionnel du transport aérien, qui estime même qu’une telle mesure pourrait remettre en cause le plan de développement de la filiale d’Air France, pierre angulaire de son plan stratégique.
D’autant plus que la compagnie ne pourrait pas transférer des vols de Transavia d’Orly à Roissy, sauf à remettre en cause les accords de périmètre signés avec les pilotes qui interdisent la desserte de Roissy à Transavia.
« On ne verrait jamais cela aux Etats-Unis »
Côté français, l’exigence de Bruxelles et la référence à Lufthansa sont à la fois incompréhensibles et contestables.
« La Commission, en tout cas sur les sujets de concurrence, fonctionne toujours avec le même logiciel, comme si le transport aérien était en période normale alors qu’il est en mode survie. Si les Etats sont aux côtés des compagnies aériennes, c’est pour qu’elles survivent. La Commission devrait être aux côtés des Etats membres. Prendre des mesures qui touchent à l’activité des entreprises est irréaliste. On ne verrait jamais cela aux Etats-Unis », regrette un proche du dossier.
Paris ne comprend pas par ailleurs cette exigence d’appliquer à Air France les contreparties acceptées par Lufthansa sans prendre en compte aucune règle de proportionnalité, non seulement entre l’activité de la compagnie allemande et celle de la compagnie française (plus petite), mais aussi entre les parts de marché que détiennent Lufthansa à Francfort et Munich (supérieure à celle d’Air France à Roissy), et enfin, entre la taille des deux aéroports allemands avec celle d’Orly. Autrement dit, estime-t-on dans le camp français, les demandes de Bruxelles à Air France sont plus dures que celles infligées à Lufthansa.
D’autant plus que ces 24 créneaux horaires à céder n’ont pas les mêmes conséquences selon les aéroports.
« Francfort n’est pas saturé. Il l’est à certaines périodes de la journée, mais il reste des créneaux horaires en journée. Aussi, la Commission a demandé à Lufthansa de céder des créneaux dans les périodes saturées mais a accepté qu’elle puisse les déplacer dans des périodes plus creuses. Ce qui lui permet de maintenir la même activité », précise un connaisseur du dossier allemand.
Si Air France pourrait faire la même chose à Roissy-Charles de Gaulle, où la situation est similaire à celle de Francfort, la compagnie française ne peut pas à Orly où il n’y a aucun créneau de libre.
Par ailleurs, on regrette dans le camp français que la Commission ne regroupe pas Roissy et Orly dans son appréciation du marché parisien, et ne demande pas la restitution de 24 créneaux sur l’ensemble de ces deux aéroports. Evoqué par l’Etat français dans ses discussions avec la Commission, ce scénario pourrait être plus facilement accepté par Air France, assure une source proche du dossier.
Le calendrier ne joue pas en faveur d’Air France-KLM
Va-t-on vers de longues négociations ? La France est coincée. Le calendrier joue en défaveur d’Air France. Bercy, qui est à la manœuvre, a bien conscience de l’importance de cette recapitalisation pour Air France, promise par la direction d’ici à l’assemblée générale du groupe fin mai.
Cette recapitalisation est autant plus cruciale pour Air France qu’elle est indispensable pour lancer une augmentation de capital sur les marchés financiers auxquelles participeront la France et, en théorie, les Pays Bas qui détiennent 14% du capital d’Air France-KLM, en se gardant bien de ne pas dépasser 30% du capital.
Dépasser ce seuil obligerait à lancer une OPA sur le reste du capital. Ce calendrier constitue une faiblesse de taille dans le rapport de force avec Bruxelles.
Les Pays-Bas disent non à Bruxelles
Dans ce contexte, la France et les Pays-Bas n’ont pas la même attitude. Si le gouvernement néerlandais (qui a démissionné depuis) a opposé un refus catégorique de voir KLM lâcher le moindre slot à l’aéroport d’Amsterdam Schiphol, le gouvernement français a, lui, préféré mener des discussions avec la Commission pour tenter d’infléchir sa position, pour l’heure sans succès.
Prompt ces dernières semaines à défendre les intérêts des entreprises françaises, le gouvernement français va-t-il durcir sa position ? Pour l’heure, les discussions se poursuivent à un rythme soutenu.
En attendant, les syndicats d’Air France montent au créneau. Les exigences de la Commission « mettent en danger le rétablissement des grandes compagnies européennes« , écrit FO Air France dans un communiqué. « La Commission tente d’anéantir les efforts des salariés d’Air France« , ajoute dans un communiqué séparé le SNPL, le syndicat national des pilotes de ligne.
Par ailleurs, il y a d’autres contreparties demandées par la Commission. Comme pour Lufthansa, Air France-KLM ne pourra pas envisager de lancer des opérations capitalistiques comme l’a évoqué à maintes reprises le ministre des transports, Jean-Baptiste Djebbari.
Aux yeux de Bruxelles, une aide d’Etat n’est pas censée servir à faire des emplettes. Il faut au préalable la rembourser à au moins 75%. Or, le groupe avait bien l’intention de partir à la chasse dès 2022, avait récemment indiqué dans nos colonnes Anne Rigail, la directrice générale d’Air France.
Source La tribune 03/02/2021